À Londres comme à Washington, les élites financières s’accordent sur une chose : le salut des retraites passera par le capital privé.
Capital-investissement : l’envers d’un succès annoncé

Une promesse de rendement, un discours d’innovation financière, une illusion de stabilité. Mais derrière cet enthousiasme orchestré, les signaux d’alerte s’accumulent.
Le rêve des marchés privés, la réalité des rendements
Le fonds St James’s Place Diversified Assets, soutenu par KKR, est emblématique. Lancé en 2018 avec pour ambition d’ouvrir les marchés privés à un public plus large, il affiche un rendement famélique de 0,6 % sur l’année écoulée, bien loin des 8 % du FTSE 100 ou même des 5 % offerts par des placements de trésorerie simples.
La semaine dernière, la chancelière britannique Rachel Reeves a annoncé un accord engageant 17 des plus grands gestionnaires de fonds de pension du pays à allouer 10 % de leurs portefeuilles aux marchés privés d’ici 2030. Aux États-Unis, des alliances similaires se multiplient entre Vanguard, Wellington, Blackstone, ou encore Capital Group et KKR.
L’argument central ? La surperformance historique du capital-investissement, avec des taux de rendement internemoyens autour de 10 %. Un chiffre séduisant, mais qui reflète davantage les années d’abondance monétaire que les conditions actuelles.
Derrière les incitations, des intérêts divergents
Peut-on faire confiance aux motivations des acteurs engagés dans cette réorientation massive ? Les responsables politiques avancent des objectifs économiques légitimes : financement de l’innovation, relance industrielle, transition verte. Mais ces ambitions masquent aussi un déplacement du risque vers les épargnants.
Les gestionnaires de fonds de pension, eux, peuvent être tentés par la perspective de frais de gestion bien plus élevés que ceux des trackers indiciels. Un ETF ne facture pas 2 % de frais annuels, ni une commission de performance. Quant au secteur du private equity, il cherche aujourd’hui à compenser la hausse des coûts d’emprunt et ses difficultés de sortie en attirant de nouveaux investisseurs particuliers.
L’épargnant particulier, nouvelle proie du capital privé ?
Dans ce contexte, capter l’épargne issue des régimes de retraite à cotisations définies ou celle des épargnants individuels devient une stratégie de diversification… pour le secteur. Mais à quel prix pour ces nouveaux entrants ?
Certains dans la profession qualifient déjà ces capitaux de « dumb money » — l’argent des non-initiés, parfois perçu comme naïf. Des transactions récentes montrent que ces investisseurs particuliers ont acheté à des niveaux plus élevésque les professionnels, surévaluant des actifs illiquides.
Les gestionnaires d’actifs tentent de compenser cette illiquidité par des poches de liquidité, censées rassurer les particuliers. Résultat ? Des performances amoindries. Le fonds KKR de SJP, par exemple, détient 30 % de liquidités, ce qui réduit mécaniquement son potentiel de rendement et accroît sa vulnérabilité en cas de retraits massifs.
Le capital privé n’est ni un mirage ni une solution miracle. C’est un outil financier complexe, potentiellement utile dans une allocation d’actifs bien construite — mais certainement pas la réponse toute faite aux défis du financement des retraites.
Derrière les promesses de diversification et de rendement élevé, l’alignement des intérêts reste flou. Le risque d’un décalage entre ce que veulent les politiques, ce que gagnent les gestionnaires d’actifs alternatifs, et ce que perdent les petits investisseurs est bien réel.
La prudence ne suffit plus. C’est de vigilance éclairée dont les investisseurs, comme les décideurs publics, ont besoin.