Stratégies patrimoniales 2025 : Comment les grandes fortunes redessinent l’investissement face à la fragmentation économique ?

Dans un contexte international marqué par les tensions commerciales et les incertitudes géopolitiques, les plus grandes fortunes mondiales redéfinissent leurs stratégies d’investissement.

Le dernier rapport d’UBS sur les family offices révèle les nouvelles logiques patrimoniales à l’œuvre en 2025 — entre recentrage, prudence et transmission.

Une réorganisation silencieuse du capital

Le Global Family Office Report 2025 d’UBS, basé sur une enquête menée auprès de 317 family offices à travers plus de 30 marchés, révèle un changement discret mais structurant dans la gestion du patrimoine à l’échelle mondiale. Les plus grandes fortunes réajustent profondément leur manière d’investir. Derrière les chiffres se dessine une nouvelle géographie du capital. Lorsque les détenteurs d’actifs majeurs modifient leurs arbitrages, c’est l’ensemble des flux économiques mondiaux qui peut être redirigé.

Plus de 70 % des family offices identifient une guerre commerciale mondiale comme le principal risque économique pour 2025, devant les tensions géopolitiques (52 %) et l’inflation. Ce classement inédit traduit une transformation de la perception du risque : la mondialisation n’est plus considérée comme une évidence mais comme une source potentielle de vulnérabilité. L’allocation massive vers l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Nord, qui concentre près de 80 % des portefeuilles, reflète ce recentrage. Les marchés émergents, autrefois moteurs de croissance, sont aujourd’hui abordés avec prudence, pénalisés par leur volatilité, leur instabilité politique et un cadre juridique jugé fragile. Ce repositionnement dessine en creux un monde où la stabilité devient une prime d’investissement.

Une prudence structurée… mais à double tranchant

Face à cette nouvelle donne, les grandes fortunes adaptent leurs stratégies. La gestion active progresse (40 %), les hedge funds regagnent du terrain (31 %), et les métaux précieux (notamment l’or) réapparaissent comme outils de diversification (19 %). Le private equity direct, lui, marque un léger recul, impacté par la remontée des taux et un ralentissement des opportunités de sortie. Ces choix relèvent d’une logique de protection patrimoniale cohérente. Mais ils interrogent : que deviennent les zones du globe et les secteurs qui bénéficiaient jusqu’ici de flux de capitaux long terme ? En privilégiant la liquidité, la solidité juridique et la prévisibilité réglementaire, les grandes fortunes pourraient assécher les financements disponibles pour certaines économies ou innovations, aggravant les déséquilibres déjà existants.

Ce réalignement stratégique peut être perçu comme un arbitrage rationnel dans un monde incertain. Toutefois, à l’échelle globale, il pourrait accentuer certaines fragilités systémiques. La concentration du capital, même prudente, n’est pas neutre. Elle peut altérer l’équilibre des flux productifs et limiter les opportunités de financement là où elles sont le plus nécessaires.

La succession, talon d’Achille des grandes fortunes

Autre signal marquant du rapport UBS : 47 % des family offices ne disposent pas encore d’un plan de succession formalisé. À l’heure du plus grand transfert de richesse intergénérationnel de l’histoire, cette lacune interpelle. Il ne s’agit pas nécessairement d’un désintérêt, mais souvent d’un report. Les raisons sont multiples : manque de temps, absence de consensus familial, ou sentiment que le moment n’est pas encore venu. Pourtant, cette attente peut se révéler risquée. Une transmission mal anticipée peut engendrer tensions internes, mauvaise gouvernance, voire des pertes patrimoniales considérables.

La réussite patrimoniale ne repose pas uniquement sur la performance financière ou le bon timing d’un investissement. Elle dépend aussi de la capacité à inscrire son capital dans le temps, en construisant des structures solides, une vision partagée, et une gouvernance intergénérationnelle cohérente. C’est précisément dans cette projection que réside la continuité du patrimoine.

Au fond, ce que révèle ce rapport, c’est une forme de maturité stratégique : moins de spéculation, plus de structuration. Dans un environnement global fragmenté, marqué par les tensions commerciales et géopolitiques, les grandes fortunes choisissent la discipline, la lisibilité et la transmission. Et c’est peut-être là la leçon la plus universelle : construire un patrimoine durable ne consiste pas seulement à rechercher du rendement, mais à savoir où l’on veut aller, avec qui, et à quelles conditions.