Salesforce rachète Informatica pour 8 milliards de dollars, marquant sa plus grosse acquisition depuis Slack. Analyse des enjeux stratégiques de cette consolidation dans le secteur des données d’entreprise et de l’IA.
Salesforce + Informatica : la guerre des données passe à la vitesse supérieure

Un rachat à 8 milliards qui scelle une revanche stratégique
Salesforce a officialisé le rachat d’Informatica pour environ 8 milliards de dollars, à raison de 25 dollars par action en numéraire, marquant une prime de 27% sur le cours de clôture précédent. L’opération, financée par une combinaison de liquidités et de dette nouvelle, doit être finalisée au début de l’exercice fiscal 2027 de Salesforce, soit début 2026.
C’est une revanche bien orchestrée pour Marc Benioff, le patron de Salesforce, après l’échec des négociations en 2024, où l’écart de valorisation avait fait capoter l’accord. À l’époque, le prix visé avoisinait 35 $ l’action, dans un contexte de marché plus tendu et de valorisations gonflées. Cette fois, les planètes se sont alignées : conditions financières plus souples, attentes réalignées, et un marché mûr pour la consolidation.
Cette acquisition, la plus importante depuis celle de Slack en 2021 (27,7 milliards $), a été supervisée par J.P. Morgan pour Salesforce, avec les cabinets Wachtell Lipton et Morrison Foerster en appui juridique. Côté Informatica, les conseils étaient Goldman Sachs, Latham & Watkins et Fenwick & West. Le calibre des acteurs mobilisés souligne l’ampleur stratégique de ce rapprochement dans un secteur où les plateformes cloud connaissent une recomposition accélérée.
La bataille pour le contrôle de l’infrastructure invisible des données
Ce rachat s’inscrit dans une vision industrielle claire : Salesforce entend devenir un acteur central de la gouvernance intelligente des données, secteur en pleine explosion avec l’essor de l’IA générative. Les entreprises doivent désormais disposer de données fiables, bien structurées et exploitables en temps réel – exactement ce que propose Informatica avec sa plateforme cloud IDMC, spécialisée dans l’intégration, la qualité, la gouvernance et la gestion des métadonnées.
Ces briques viennent compléter de façon cohérente l’arsenal déjà détenu par Salesforce : Data Cloud (plateforme de données unifiée), Tableau (visualisation), et MuleSoft (intégration d’applications). Marc Benioff l’a résumé sans détour : « Ensemble, nous allons créer la plateforme de données la plus complète du marché, prête pour les agents IA. »
L’idée est ambitieuse : unifier toute la chaîne, de la collecte à l’exploitation, dans un écosystème propriétaire. Un pari qui place Salesforce en confrontation directe avec Microsoft (Azure Synapse, Power BI), Oracle (Autonomous Database) et Google Cloud (BigQuery, Looker) dans une bataille qui ne se joue plus seulement sur le logiciel métier, mais sur l’infrastructure invisible qui alimente ces logiciels en données exploitables.
Toutefois, les défis d’intégration technique sont colossaux. Fusionner des architectures cloud complexes tout en maintenant les performances prendra des années. Et la concurrence ne reste pas inactive : Microsoft vient d’annoncer Microsoft Fabric, sa propre plateforme unifiée de données, tandis qu’Oracle mise sur l’IA intégrée dans ses bases de données autonomes.
Un pari risqué sur l’économie pilotée par la donnée
Les premières réactions boursières confirment la pertinence stratégique du deal : +8,2% pour Informatica à l’annonce, et une hausse de 2,1% pour Salesforce – un signe que les investisseurs valident le pari malgré la prime payée. Cette opération révèle une mutation profonde de l’économie numérique : désormais, la donnée n’est plus un actif parmi d’autres, elle devient la matière première essentielle de toute transformation digitale.
Le marché mondial des solutions de gestion de données d’entreprise représente aujourd’hui 74 milliards de dollars et devrait atteindre 137 milliards d’ici 2028 selon IDC. Avec cette acquisition, Salesforce + Informatica contrôleraient environ 12% de ce marché, se hissant au niveau des leaders actuels que sont Microsoft (15%) et Oracle (14%).
Mais le pari comporte des risques significatifs. L’intégration d’Informatica pourrait cannibaliser les revenus existants de Salesforce si les clients renégocient leurs contrats à la baisse. De plus, la dette supplémentaire (estimée à 4 milliards $) va peser sur la flexibilité financière du groupe dans un contexte de remontée des taux.
Pour les investisseurs comme pour les directeurs informatiques, cette opération illustre une dynamique cruciale : les géants technologiques ne cherchent plus seulement à croître par l’innovation organique, mais par intégration stratégique de spécialistes capables de renforcer leur contrôle sur la chaîne de valeur numérique. Ce mouvement de consolidation des plateformes cloud autour de la donnée n’en est qu’à ses débuts et redessine déjà les règles du jeu pour la décennie à venir.
La vraie question reste de savoir si Salesforce parviendra à exécuter cette intégration complexe avant que la concurrence ne réplique avec ses propres acquisitions stratégiques.