Capitalisme sous tutelle : le vrai prix du capital-risque à la française

Derrière la success story apparente de la French Tech, un déséquilibre structurel se dessine :

en l’absence de fonds de pension, le capital-risque français fonctionne à l’inverse de son modèle — alimenté non par le marché, mais par l’argent public. Jusqu’à quand ?

Un État-investisseur omniprésent

Il y a quelque chose de dérangeant dans ce chiffre : deux tiers des fonds de capital-risque français ont Bpifrance pour souscripteur. Officiellement, c’est un levier de développement. En réalité, c’est une perfusion continue.

Depuis dix ans, Bpifrance agit en investisseur central, catalyseur de la French Tech : 10,5 milliards d’euros injectés, dont 4,6 milliards en direct dans les start-up et 5,9 milliards dans 180 fonds. Le soutien est massif, mais la dépendance l’est tout autant : 80 % des fonds interrogés admettent que sans l’argent public, leur levée aurait été “plus compliquée” — comprenez “impossible”.

Ce déséquilibre ne tient pas à une erreur de stratégie mais à un vide systémique : la France ne s’est jamais dotée de véritables fonds de pension. Là où les écosystèmes anglo-saxons s’appuient sur l’épargne retraite capitalisée de millions de citoyens, notre modèle continue de reposer sur la répartition… et donc sur l’État comme unique pourvoyeur de capital patient.

Un capitalisme sans capital privé

Les conséquences sont visibles : 57 % des fonds britanniques attirent des capitaux étrangers, contre 20 % seulement pour la France. Le capital-risque tricolore reste un système fermé, administré, dépendant, coupé des grands flux internationaux. Et cela freine l’émergence d’un écosystème vraiment concurrentiel, capable d’attirer les investisseurs mondiaux.

Les signaux d’émancipation sont là, mais faibles. En 2023, les family offices et investisseurs privés ont levé 26 % des fonds, contre 22 % pour le public. Le poids de Bpifrance dans les fonds d’amorçage est passé de 43 % à 34 % en dix ans. Des progrès, mais pas une rupture.

Et pendant ce temps, les performances se dégradent. Le “vintage” 2019–2023 est jugé “catastrophique” par les observateurs. La surabondance d’argent public a entretenu une génération d’entrepreneurs sous assistance permanente, peu exposés à la réalité du marché.

L’épargne longue, cet outil que la France refuse d’utiliser

Ne jetons pas la pierre à Bpifrance : elle a rempli son rôle dans un contexte de déficit d’acteurs privés. Mais la solution ne peut pas être de substituer durablement l’État au marché. Il est urgent de reconnecter les Français à leur capital, et leur capital à l’économie réelle.

Car la France ne manque ni d’épargne, ni de volonté d’épargner. Elle manque d’intermédiaires capables de transformer cette épargne en investissement productif. Aujourd’hui, les milliards dorment sur des fonds euros, des livrets A, ou dans la pierre. Ils sécurisent, mais ils ne construisent rien.

La réponse pourrait prendre la forme d’un fonds de pension citoyen, inspiré des grands modèles internationaux : transparence, gouvernance indépendante, horizon long terme, et allocation vers le non-coté, les infrastructures, l’innovation. Un outil conçu non pour protéger l’épargne à tout prix, mais pour la faire travailler intelligemment — au service du pays comme des épargnants.