Une bataille juridique acharnée entre Vincent Bolloré et les actionnaires minoritaires vient de connaître un tournant décisif.
Bolloré et Vivendi : l’AMF impose une offre publique de retrait historique

Le 18 juillet 2025, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a ordonné au milliardaire breton et à sa holding Bolloré SE de lancer une offre publique de rachat sur les 66,4 % d’actions Vivendi qu’ils ne détiennent pas encore. Cette décision, conséquence directe de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 22 avril 2025, redessine les contours de la gouvernance des grands groupes familiaux français.
Une scission contestée révélatrice des enjeux de gouvernance
En décembre 2024, Vivendi a procédé à une scission spectaculaire, divisant le conglomérat en quatre entités distinctes : la holding Vivendi (cotée à Paris), Canal+ (Londres), Havas (Amsterdam) et le Groupe Louis Hachette (Euronext Growth, Paris). Cette opération, orchestrée par Vincent Bolloré, visait à libérer la valeur de chaque entité et à mettre fin à la décote de conglomérat qui pénalisait le groupe.
Pourtant, les capitalisations boursières combinées des quatre entités totalisent aujourd’hui environ 7,09 milliards d’euros, soit 17 % de moins que la valeur de Vivendi avant la scission. Cette destruction apparente de valeur a alimenté les critiques du fonds activiste CIAM, actionnaire minoritaire qui a contesté l’opération en justice.
L’AMF avait initialement validé la scission en novembre 2024, estimant que Bolloré, avec ses 29,9 % de détention directe, ne contrôlait pas formellement Vivendi et n’était donc pas tenu de lancer une offre publique de retrait (OPR). Cette position reposait sur une interprétation stricte des seuils réglementaires, excluant les 3,7 % d’actions autodétenues par le groupe.
La Cour d’appel bouleverse la donne juridique
La bataille judiciaire initiée par CIAM a porté sur l’article 236-6 du règlement de l’AMF, qui impose à toute personne contrôlant une société de déclencher une OPR en cas de modification significative des statuts. La question centrale était de savoir si les actions autodétenues devaient être agrégées au calcul du seuil de contrôle.
La Cour d’appel de Paris a tranché cette question technique mais cruciale dans son arrêt du 22 avril 2025. En considérant que les 3,7 % d’actions autodétenues par Vivendi devaient être ajoutées aux 29,9 % détenus directement par Bolloré, la Cour a fait franchir le seuil fatidique des 30 %, déclenchant automatiquement l’obligation d’OPR.
Cette décision marque un tournant dans l’interprétation du droit boursier français. Elle établit un précédent important pour tous les grands groupes utilisant des montages patrimoniaux complexes mêlant participations directes et actions autodétenues.
Un impact financier considérable et des perspectives d’évolution
La réaction des marchés financiers a été immédiate et spectaculaire : l’action Vivendi a bondi de plus de 13 % en séance le 18 juillet, atteignant 3,32 euros. Cette envolée reflète les attentes des investisseurs concernant la prime qui sera proposée lors de l’OPR, traditionnellement supérieure au cours de bourse.
Pour donner un ordre de grandeur des enjeux financiers, la valeur d’actif net (NAV) de Vivendi s’élevait à 4,69 euros par action fin décembre 2024, avec un portefeuille d’investissements valorisé à plus de 7,1 milliards d’euros. Cependant, le titre souffre d’une décote de conglomérat de 47,5 % par rapport à son actif net réévalué, qui atteignait 5,06 euros par action récemment.
L’AMF a accordé un délai exceptionnel de six mois à Bolloré pour déposer son projet d’OPR, soit le double du délai habituel. Cette extension témoigne de la complexité de l’opération et des montants considérables en jeu. Si l’on considère la capitalisation actuelle de Vivendi et la part détenue par les minoritaires, l’OPR pourrait représenter plusieurs milliards d’euros.
Toutefois, cette victoire juridique des actionnaires minoritaires reste conditionnelle. La Cour de cassation doit encore valider l’arrêt de la Cour d’appel. En cas de rejet, c’est la position initiale de l’AMF de novembre 2024 qui prévaudra, annulant l’obligation d’OPR.
Cette affaire Vivendi-Bolloré cristallise les tensions croissantes entre les stratégies patrimoniales des grands actionnaires familiaux et les exigences de transparence des marchés financiers. Elle pourrait inciter d’autres fonds activistes à contester des opérations similaires, renforçant la protection des actionnaires minoritaires dans un contexte où la gouvernance d’entreprise devient un enjeu central de la confiance des investisseurs.