OpenAI : un virage stratégique vers l’utilité publique

En mai 2025, OpenAI a annoncé une décision majeure : renoncer à sa transformation en entreprise à but lucratif pour renforcer son engagement envers le bien commun.

Dans un climat de méfiance croissante à l’égard des géants de la tech, cette décision marque un tournant potentiellement structurant pour l’avenir de l’intelligence artificielle.

Une réorganisation sous pression

OpenAI, créée en 2015 par Elon Musk, Sam Altman et d’autres figures de la tech, avait été pensée comme une organisation à but non lucratif visant à développer une IA « bénéfique pour l’humanité ». En 2019, une structure hybride avait été mise en place : l’entité à but non lucratif contrôlait une filiale à but lucratif plafonné, OpenAI LP, afin de lever des fonds tout en respectant sa mission éthique. Cette structure a permis à OpenAI de signer un accord stratégique avec Microsoft en 2019, impliquant un investissement de 1 milliard de dollars, porté depuis à plus de 13 milliards de dollars en numéraire, crédits cloud et calcul.

Cependant, cette organisation atypique a été vivement critiquée, notamment à la suite de la plainte déposée début 2024 par Elon Musk. Ce dernier accuse OpenAI d’avoir dévié de sa mission initiale au profit d’intérêts commerciaux, notamment ceux de Microsoft. La montée des critiques internes et externes a conduit OpenAI à annoncer la transformation d’OpenAI LP en « Public Benefit Corporation » (PBC), une structure juridique américaine qui permet de poursuivre un objectif sociétal tout en étant à but lucratif.

OpenAI précise que l’association mère continuera à détenir le contrôle stratégique de la PBC, et qu’une part importante des revenus restera affectée à des objectifs de recherche ouverts. Ce nouveau cadre vise à assurer transparence, responsabilité et alignement avec les valeurs fondatrices de l’organisation.

Elon Musk en opposition frontale

La restructuration n’a pas apaisé les critiques d’Elon Musk. Selon son avocat Marc Toberoff, « cette transformation est cosmétique et ne change rien sur le fond : les actifs à vocation caritative sont toujours transférés au profit de particuliers, dont Sam Altman et les investisseurs ». L’action en justice déposée en Californie demande à la justice de bloquer tout transfert d’actifs considérés comme publics à des fins privées.

Réponse globale et recentrage stratégique

Face à ces critiques, OpenAI tente de reprendre la main sur le récit. En avril 2025, l’organisation a lancé l’initiative « OpenAI for Countries », destinée à aider les États à développer leur propre infrastructure d’IA souveraine. Cette stratégie vise à déployer des versions localisées de ChatGPT adaptées à des contextes publics : santé, éducation, gouvernance.

OpenAI affirme vouloir créer une alternative aux infrastructures technologiques dominées par la Chine et les États-Unis. Cette stratégie s’inscrit aussi dans une volonté de réduire la dépendance vis-à-vis de Microsoft. OpenAI compte ramener progressivement la part de revenus reversée à Microsoft de 20 % à 10 % d’ici 2030, ce qui pourrait représenter plusieurs centaines de millions de dollars d’économie à terme.

Pression financière et croissance externe

Dans le cadre de son nouveau tour de table massif de 40 milliards de dollars, OpenAI a tout intérêt à finaliser rapidement sa transformation juridique.S i la restructuration n’est pas achevée d’ici la fin de l’année, le principal investisseur pressenti, SoftBank Group, pourrait réduire sa contribution de 30 à 20 milliards de dollars. OpenAI serait alors contraint de rechercher d’autres investisseurs pour compléter la levée. Cette pression financière renforce l’urgence du repositionnement structurel.

Par ailleurs, OpenAI aurait engagé des discussions avancées pour racheter Windsurf, une startup innovante spécialisée dans les outils de développement automatisés et l’infrastructure matérielle pour l’IA. Le montant évoqué s’élève à 3 milliards de dollars, ce qui en ferait la plus grande acquisition de l’histoire d’OpenAI. Windsurf est notamment à l’origine du Windsurf Editor, un environnement de développement basé sur le principe du « vibe coding« , où les agents IA prennent en charge une grande partie de la programmation. La société développe également des puces IA personnalisées et des serveurs optimisés pour le traitement de modèles de grande taille, ce qui renforcerait l’indépendance technologique d’OpenAI.

Un précédent pour l’ensemble de la tech ?

OpenAI pourrait ainsi faire figure de pionnier en matière de gouvernance technologique. Le modèle de PBC, utilisé notamment par Patagonia ou Coursera, reste rare dans la tech, mais pourrait gagner du terrain si l’expérience d’OpenAI s’avère concluante. Pour les investisseurs, cette transformation soulève des interrogations fondamentales : peut-on mesurer la valeur d’une entreprise sur la base de son impact sociétal ? Les investisseurs institutionnels, de plus en plus sensibles aux critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance), pourraient y voir une opportunité stratégique.

L’organisation devra cependant démontrer que cette évolution structurelle n’est pas un simple vernis éthique, mais bien un changement de fond. Dans le cas contraire, elle risquerait de renforcer la méfiance envers les promesses éthiques des entreprises d’IA.

Conclusion : une mutation sous surveillance

Avec plus de 250 millions d’utilisateurs actifs hebdomadaires (chiffres OpenAI, avril 2025) et des ambitions mondiales, OpenAI reste au cœur des débats sur le pouvoir des modèles d’IA. Son repositionnement stratégique comme PBC marque un tournant qui pourrait faire école ou, à l’inverse, alimenter une crise de confiance si les promesses ne sont pas tenues.

Dans tous les cas, OpenAI cristallise les tensions fondamentales de la tech contemporaine : entre mission sociale, rentabilité et influence politique, l’entreprise est devenue un cas d’école pour les régulateurs, les investisseurs et la société civile.