Dans un monde fracturé par les tensions commerciales, les chocs énergétiques et les fractures numériques, l’Inde se positionne discrètement mais fermement comme une pièce maîtresse du nouvel échiquier géoéconomique.
L’Inde à la croisée des chemins : entre opportunité industrielle et vigilance stratégique

Les signaux récents en matière d’investissement, d’industrialisation et de cybersécurité montrent un pays en pleine mutation. Mais cette montée en puissance reste conditionnelle : l’heure est à l’action et à la lucidité.
L’électronique : une opportunité en or, mais pas éternelle
Le secteur électronique indien vit une phase d’expansion sans précédent, portée à la fois par les tensions sino-américaines et les incitations du gouvernement. Apple a commencé à transférer une part importante de sa production d’iPhones vers l’Inde, destinée notamment au marché américain une rupture stratégique symbolique. HP, de son côté, prévoit de doubler sa capacité de production en s’appuyant sur le programme PLI (Production Linked Incentive).
Cette dynamique profite aux sous-traitants indiens. Dixon Technologies, qui assemble pour Samsung, Panasonic ou Motorola, a vu son action doubler en un an, dépassant les 16 200 roupies. D’autres acteurs comme PG Electroplast (de 200 à 900 roupies), Avalon Technologies (+80 %) ou Kaynes Technologies (+120 %) connaissent une trajectoire similaire.
Mais cette envolée ne durera que si l’industrie indienne monte rapidement en qualité et en productivité. Le risque ? Que l’Inde reste cantonnée à un rôle d’atelier bon marché, sans réelle intégration dans la chaîne de valeur technologique mondiale.
Transition énergétique : une ambition affichée, un test à grande échelle
Le secteur énergétique illustre un autre tournant stratégique. Le fonds américain I Squared Capital investit 500 millions de dollars via Hexa Climate Solutions, pour reprendre et développer le portefeuille renouvelable du finlandais Fortum. L’objectif est clair : faire passer la capacité installée de 100 MW à 2,5 GW en trois ans.
Ce projet s’intègre dans la stratégie gouvernementale visant à porter les capacités non fossiles à 500 GW d’ici 2030. C’est un bond nécessaire dans un pays encore très dépendant du charbon, mais qui doit convaincre par sa crédibilité d’exécution. La transition énergétique ne sera pas qu’un enjeu d’infrastructure, mais aussi de gouvernance et de régulation.
Cybersécurité : une urgence nationale sous-estimée
L’essor numérique indien va de pair avec une explosion des fraudes. En 2024, les pertes liées aux cyberfraudes ont atteint 175 millions de dollars, en hausse de plus de 400 % sur un an. En réaction, la Reserve Bank of India (RBI) impose désormais aux banques de migrer vers des domaines sécurisés en “.bank.in” d’ici octobre 2025.
C’est une étape structurante, mais tardive. La puissance numérique indienne repose sur un paradoxe : une hypercroissance technologique dans un écosystème encore vulnérable. À mesure que le pays s’intègre aux flux financiers mondiaux, cette faille deviendra un risque systémique majeur.
Les marchés réagissent positivement : le Nifty 50 et le BSE Sensex ont récemment progressé, soutenus par douze sessions consécutives d’achats nets par les investisseurs étrangers — un record depuis deux ans. La baisse des prix du pétrole renforce l’optimisme, avec des hausses notables pour BPCL, Indian Oil ou HPCL.
Mais cette euphorie est fragile. Une partie de cette confiance repose sur l’idée que l’Inde incarne une “troisième voie” entre une Chine devenue imprévisible et un Occident trop coûteux. Pour la transformer en force durable, l’Inde devra prouver sa capacité à consolider ses institutions, à former sa main-d’œuvre, et à sécuriser ses ambitions industrielles.
La lucidité avant le récit
L’Inde se trouve face à un moment unique. Les chaînes de valeur mondiales se reconfigurent. Les énergies renouvelables attirent les capitaux. Le numérique redessine la relation entre l’État, les citoyens et les marchés. Mais les trajectoires émergentes ne garantissent pas un destin industriel.
Comme le dit KV Kamath, président de Jio Financial Services :
« Je cherche les points à l’horizon qui, selon moi, façonneront de nouvelles idées. »
Ces points sont visibles. Mais ils ne se rejoignent qu’avec méthode, discipline et volonté politique. Plus que jamais, la puissance n’est pas un statut : c’est une construction.